ARTICLE | Les Sorcières !

De la chandelle aux cloches,
Les plantes sont nos alliées.
Millepertuis –
Et autant pour moi,
Qu’à jamais l’on oublie
Nos cris et nos voix.
Nous sommes médecins d’hier,
Nous sommes les sorcières.
Du « hag-taper », Verbascum Thapsus, souvent appelée la chandelle des sorcières en passant par les digitales ou « cloches des sorcières », mille sont les plantes qui auraient servi aux sorcières pour concocter potions et onguents, soigner la maladie des pauvres gens du bas Moyen-Age qui, autant par manque de moyens économiques ou physiques que par peur du médecin, n’avaient d’autre recourt que ces sages dames. De l’impotence de ces messieurs à l’infertilité de ces dames en passant par les philtres pour « dégrossir » celles qui pêchèrent (de gré ou de force parfois), à une époque où le médecin tue tout autant qu’il ne sauve, elles sont tantôt sages-femmes tantôt chirurgiennes et diseuses de bonne aventure mais toujours les gardiennes d’un savoir ancestral. Elles interprètent le ciel, le comportement des animaux ou encore utilisent leur perception du monde au travers des sens pour prédire les saisons et la météo.
« Circé »
Si la sorcière est récemment devenue « bien aimée » ou une ado un peu introvertie qui se veut proche de nos enfants, cela n’a pas toujours été le cas. Les premières mentions de sorcière ou de figure de sorcière dans la littérature remontent à l’Antiquité. À cette époque, cette dernière jouit d’une réputation sans faille. Elle est sage, douée de pouvoirs divins, surnaturels, capable de vision du futur, de lire dans les cœurs, elle use de sa magie pour influencer les hommes, elle conseille les rois et promulgue des soins aux armées.
« Baldung Hexen » de Hans Baldung – 1508
L’église Catholique, alors encline à englober en son sein beaucoup de rites païens pour se faire accepter des nombreux peuples bientôt soumis par l’Empire Romain, s’empare de la question des sorcières et décrète officiellement qu’elles ne sont ni plus ni moins que des marginales, des femmes qui se sont mises à l’écart de la société, qui vivent en osmose avec la nature mais bien incapables de toute magie. Au contraire, dans la campagne on les pense capables d’influencer la météo ou de jeter des charmes et malédictions et de ce fait on les respecte et on les craint. Malgré les mots de l’Église, il est extrêmement difficile de faire condamner une sorcière au bucher car il est considéré hérétique de même croire en leur pouvoir. Au début du Moyen-Age, la sorcellerie devient professionnelle. La foi intense que l’on se doit d’avoir et qui englobe le monde et les humains est inexorablement accompagnée de superstitions. C’est donc l’Église qui, en imposant la notion du Mal et de son incarnation à travers le diable, rendit la sorcière bien réelle – « Ubique daemon »
« Sorcière chevauchant une chèvre à l’envers » d’Albrecht Dürer – c. 1500
Baignées par la certitude de Dieu, l’intense exaltation de la foi, les générations de croyants ne peuvent que ressentir la présence de Satan tout aussi intensément. On contemple les façades des églises et la faune qui les compose : griffon, licorne, amphisbène… comment, alors, la paysanne pourrait ne pas croire en l’existence de ces bêtes lorsque le curé lui-même y croit ? Les témoignages de rencontre avec le loup garou affluent et nier son existence ne peut mener qu’au bucher comme il en adviendra de Guillaume de Lure, à Poitiers.
Sorcières sur le bûcher – c. 1400
Entre le 10ème et le 15ème siècle, la sorcellerie professionnelle croit drastiquement. Certaines estimations avancent jusqu’à 300 000 sorcières et sorciers dans le royaume de France seulement.
Beaucoup seront brûlés vifs.
Évidemment, le tribut de cette théologie et de cette « morale » sera payé en premier lieu par les femmes, initiatrices du péché envers Adam.
Le 13ème siècle en Europe marque un tournant. La peste ravage un tiers de la population et l’on se tourne vers le divin pour surmonter le traumatisme. Dépeinte penchée au-dessus d’un chaudron bouillonnant, le visage ridé, le nez long et couvert de pustules ou encore son visage, tordu d’un rire que l’on devine malfaisant, se montre paré d’un chapeau pointu. Elle chevauche son balai dans les cieux des nuits sombres ou immortalisée à son passage devant la lune en croissant.
A la toute fin du 14ème siècle, la chasse au sorcière connait sa première victime. Elle se nomme Jeanne de Brigue. Jeune fille, elle est aventurière. Sa marraine maîtrise les arts arcaniques et la prend sous son aile, lui enseigne les plantes tous les soirs, quoi en faire, où les trouver, comment les préparer et dans quel but. Jeanne apprend tout ce qu’elle peut et, après 3 années révolues, sa marraine lui confère le rang d’initiée, de femme savante : de sorcière. Elle s’installe dans une petite maison, proche d’un village où tous la connaissent et du soir au matin, elle vend ses services aux innombrables venus la solliciter. Elle les soigne au mieux de ses connaissances.
Décorations Marginales dans « Le Champion des Dames » de Martin le France – 1451
Mais elle n’est pas pieuse, elle vénère le soleil et la nuit, symboles de l’homme et de la femme, dieux des sorcières, et quand ses exploits arrivent aux oreilles de l’évêque, il ne voit pas d’un œil doux ces miracles dont la source ne peut être chrétienne. Jeanne ne va pas à la messe. Ancrée à jamais dans l’humanité la plus douce et fière, elle utilise ses « pouvoirs » (son savoir) pour guérir. Le 19 Août 1391, elle sera la première brulée vive au marché aux Pourceaux à Paris.
Portrait de Katharina Guldenmann, mère de Johannes Kepler et présumée sorcière – c. 1700
En 1486, deux frères de l’église Dominicaine font paraitre un traité titré Malleus Maleficarum qui qualifie la sorcellerie d’hérésie et explique en sordides détails comment capturer, interroger et obtenir les confessions des sorcières ainsi que comment les punir.
On écrit le nom de celle que l’on soupçonne sur un papier enroulé autour d’une clef. On y suspend, dans un filet, un livre d’Écritures Saintes. Le tout est attaché à l’ongle du doigt d’une jeune fille qui doit alors prononcer bassement certains mots. Si la clef reste immobile, c’est à tort que la femme est accusée de sorcellerie. Si elle tourne : qu’on la brûle !
Cette œuvre contribue beaucoup à semer la panique dans l’empire chrétien, il est le livre le mieux vendu après la Bible en Europe à cette époque. 200 ans après cette parution, c’est plus de 80 000 personnes qui auront été exécutées suite à une accusation de sorcellerie.
Beaucoup de ces femmes seront brûlées victimes de la vindicte ou de jalousie. Les paysannes se méfient des sages-femmes qui, pour certaines, pratiquent la sorcellerie : la graisse et les os des enfants mort-nés sont composants d’onguents magiques, d’autres provoquent l’épilepsie, nouent l’aiguillette ou tarissent le lait des mères.
Vuelo de Brujas de Goya – 1798
Après la mort d’Urbain Grandier (voir : Les Diables de Loudun) en 1634, on condamne à la mort par le feu 12 sorciers de Normandie en 1672. Le pouvoir royal cassera l’arrêt et Colbert abolira la peine de mort pour présomption de sorcellerie : on ne brûlera plus de sorcières en France (sauf exceptions, voir La Voisin : sage-femme entre deux messes noires qui avouera avoir brûlé dans le four ou enterré dans son jardin plus de 2 500 enfants nés avant terme et qui sera brûlée le 29 février 1680 en place de grève).
Une fois l’hystérie collective autour des sorcières dissipées en Europe, c’est au tour du nouveau monde de s’emparer de cette folie.
Au tristement célèbre « Tribunal de Salem », on accusera 150 personnes de « witchcraft », 18 d’entre elles seront exécutées.